Chez Bainville, ce qui domine, ce qui plaît, ce qui rend commode et attachante la lecture de ce livre, c'est l'aisance admirable du style, d'abord, puis l'absence de toute longue citation, la netteté sobre, mais profonde des jugements, l'objectivité lucide des exposés, un don d'analyse subtile, qui s'efforce de se tenir éloigné de l'éloge ou du blâme, de l'admiration béate ou de la critique tendancieuse.
La grande question qui se pose au sujet de ce livre: « Est-il pour ou contre Napoléon? ». Comme si tout livre sur Napoléon devait être pour ou contre...
L'Histoire, quand elle s'attache à étudier l'un ou l'autre de ses « héros » le scrute à fond, l'étale pour ainsi dire devant nous, le retournant sous toutes ses faces. Eh bien, Napoléon ne sort ni grandi ni amoindri du travail auquel s'est livré Jacques Bainville. A prendre à la lettre plus d'un passage de son livre, on ne peut s'empêcher, de trouver que l'auteur s'est montré plutôt sévère, et à juste titre. Mais, au fond, cela n'est qu'une apparence, car on voit bien vite ce que l'écrivain a voulu faire apparaître dans la carrière épique du grand Corse : c'est que, si celui-ci a eu la faculté extrême de saisir les événements et d'en profiter, s'il a paru les dominer ou les régler à sa guise, sa vie toute entière a été bien plutôt conditionnée par eux, Napoléon Ier a été un « Destin ».
L'originalité du Napoléon de Jaques Bainville, c'est de retrouver les motifs, les raisons des actes ; de ne pas nous montrer un Napoléon tout fait, mais se faisant ; non pas un Napoléon en possession d'une doctrine ni même, primitivement, d'un but, mais, génie réaliste, sans cesse inspiré par les circonstances, se construisant et construisant son empire au fur et à mesure des événements ; non point fataliste, mais commandé par une sorte de fatalité qui est l'instabilité même où il évolue, où il est contraint à évoluer, car sa lucidité n'a jamais été en défaut, et toujours il s'est senti poussé par une nécessité à quoi il ne pouvait se dérober.